La Film Foundation, mémoire du cinéma

Thomas Sotinel 10/19/2015

A Lyon, tout au long du Festival Lumière, qui s’est achevé le 18 octobre, les films semblaient la plupart du temps parfaits : dans Marius, Raimu et Pierre Fresnay arboraient des mines resplendissantes ; dans David Golder, de Julien Duvivier, tourné comme le précédent en 1931, la voix d’Harry Baur résonnait et gémissait comme s’il était dans la pièce. Les couleurs de La Momie, de l’Egyptien Shadi Abdel Salam, éblouissaient comme elles avaient ébloui le grand cinéaste britannique Michael Powell, à la sortie du film, en 1969.

Cette perfection ne va pas de soi, et le festival a drainé, outre ses dizaines de milliers de spectateurs, presque tout ce que la planète compte de professionnels qui se vouent à la préservation et à la diffusion du patrimoine cinématographique : directeurs de cinémathèque, archivistes, historiens, restaurateurs… Au premier rang desquels l’équipe de la Film Foundation, créée par Martin Scorsese en 1990. C’est la Film Foundation qui a restauré La Momie, tout comme Colonel Blimp, de Michael Powell (1943), ou Larmes de clown, du Suédois Victor Sjöstrom (1924). Le but n’étant pas de constituer un fonds autonome mais d’enrichir les cinémathèques du monde entier.

Margaret Bodde, l’une des proches collaboratrices de Martin Scorsese (elle a produit nombre de ses documentaires) supervise le travail de la fondation, dont le conseil d’administration est constitué de réalisateurs – contemporains et cadets du fondateur, George Lucas et Alexander Payne, Steven Spielberg et Wes Anderson…

L’irruption du numérique

Il y a un quart de siècle, il s’agissait de sauver les films américains de la dégradation des supports, film nitrate en voie de désintégration ou film couleur qui prenait des libertés avec la réalité. « Depuis, la plupart des studios ont intensifié leurs efforts de préservation, observe Margaret Bodde, mais leurs collections sont si massives qu’il leur est impossible de tout garder. » C’est le travail du fondateur et des administrateurs que de sélectionner les films qu’il faut secourir. « Marty [Martin Scorsese] fait preuve d’une intuition troublante quant aux dangers qui peuvent menacer un film, explique-t-elle, il nous dit : “Il faudrait voir où en est Trafic en haute mer” [de Michael Curtiz, avec John Garfield, 1950]et, de fait, lorsque nous contactons l’UCLA [l’université de Los Angeles], qui détient le matériel, ils nous disent que l’affaire est urgente. »

Le travail en direction des cinématographies d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine est du ressort du World Film Project, désormais intégré à la fondation. A Bologne, où elle travaille avec le laboratoire l’Immagine Ritrovata, Cecilia Cenciarelli centralise les demandes de restauration venues du monde entier et voyage ensuite à travers le monde – sa collègue Margaret Bodde la décrit comme « la James Bond du patrimoine cinématographique » pour démêler les questions de droits d’auteur ou pour convaincre les autorités de l’intérêt du projet.

L’exercice est d’autant plus difficile que l’irruption du numérique ne cesse de remettre en cause les techniques et les buts mêmes de la préservation.« Pendant cent ans, les fondements technologiques du cinéma sont restés les mêmes, explique Margaret Bodde, depuis l’apparition du numérique, ils ont changé au moins dix fois. »

C’est pourquoi on peut trouver sur le site de la Film Foundation une page destinée aux cinéastes débutants qui leur rappelle que « ce n’est pas parce que votre film est sur YouTube qu’il est préservé » et qui leur donne quelques conseils élémentaires : toujours conserver les éléments dans des formats non compressés, les changer de support au moins tous les trois ans… Parce que c’est aujourd’hui que se font les programmes des festivals de patrimoine du siècle prochain.

Le Monde

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